Saint-Loup n’avait pas assez d’ironie pour lui-même qui ne reprenait pas de service et j’avais été presque choqué de la violence de son ton. Saint-Loup revenait de Balbec. « Non, s’écria-t-il avec force et gaîté, tous ceux qui ne se battent pas, quelque raison qu’ils donnent, c’est qu’ils n’ont pas envie d’être tués, c’est par peur. » Et avec le même geste d’affirmation plus énergique encore que celui avec lequel il avait souligné la peur des autres, il ajouta : « Et moi, si je ne reprends pas de service, c’est tout bonnement par peur, na. » J’avais déjà remarqué chez différentes personnes que l’affectation des sentiments louables n’est pas la seule couverture des mauvais, mais qu’une plus nouvelle est l’exhibition de ces mauvais, de sorte qu’on n’ait pas l’air au moins de s’en cacher. De plus, chez Saint-Loup cette tendance était fortifiée par son habitude, quand il avait commis une indiscrétion, fait une gaffe, et qu’on aurait pu les lui reprocher, de les proclamer en disant que c’était exprès. Habitude qui, je crois bien, devait lui venir de quelque professeur à l’École de Guerre dans l’intimité de qui il avait vécu et pour qui il professait une grande admiration. Je n’eus donc aucun embarras pour interpréter cette boutade comme la ratification verbale d’un sentiment que Saint-Loup aimait mieux proclamer, puisqu’il avait dicté sa conduite et son abstention dans la guerre qui commençait. « Est-ce que tu as entendu dire, demanda-t-il en me quittant, que ma tante Oriane divorcerait ? Personnellement je n’en sais absolument rien. On dit cela de temps en temps et je l’ai entendu annoncer si souvent que j’attendrai que ce soit fait pour le croire. J’ajoute que ce serait très compréhensible ; mon oncle est un homme charmant, non seulement dans le monde, mais pour ses amis, pour ses parents. Même, d’une façon, il a beaucoup plus de cœur que ma tante qui est une sainte, mais qui le lui fait terriblement sentir. Seulement c’est un mari
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