certains espaces essentiels s’ils sont conquis décident de la victoire. C’est, d’ailleurs, une tournure de son esprit. Il a montré comment si la Russie était bouchée sur mer elle serait défaite et qu’une armée enfermée dans une sorte de camp d’emprisonnement est destinée à périr. »
Il faut dire pourtant que si la guerre n’avait pas modifié le caractère de Saint-Loup, son intelligence, conduite par une évolution où l’hérédité entrait pour une grande part, avait pris un brillant que je ne lui avais jamais vu. Quelle distance entre le jeune blondin qui jadis était courtisé par les femmes chic ou aspirait à le devenir, et le discoureur, le doctrinaire qui ne cessait de jouer avec les mots ! À une autre génération, sur une autre tige, comme un acteur qui reprend le rôle joué jadis par Bressant ou Delaunay, il était comme un successeur — rose, blond et doré, alors que l’autre était mi-partie très noir et tout blanc — de M. de Charlus. Il avait beau ne pas s’entendre avec son oncle sur la guerre, s’étant rangé dans cette fraction de l’aristocratie qui faisait passer la France avant tout tandis que M. de Charlus était au fond défaitiste, il pouvait montrer à celui qui n’avait pas vu le « créateur du rôle » comment on pouvait exceller dans l’emploi de raisonneur. « Il paraît que Hindenbourg c’est une révélation, lui dis-je. — Une vieille révélation, me répondit-il du « tac au tac », ou une future révélation. » Il aurait fallu, au lieu de ménager l’ennemi, laisser faire Mangin, abattre l’Autriche et l’Allemagne et européaniser la Turquie au lieu de montégriniser la France. « Mais nous aurons l’aide des États-Unis, lui dis-je. — En attendant, je ne vois ici que le spectacle des États désunis. Pourquoi ne pas faire des concessions plus larges à l’Italie par la peur de déchristianiser la France ? — Si ton oncle Charlus t’entendait ! lui dis-je. Au fond tu ne serais pas fâché qu’on offense encore un peu plus le Pape, et lui pense avec désespoir