Page:Proust - Le Temps retrouvé, tome 1.djvu/10

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d’être vu, le désir de ne pas sembler avoir cette crainte, la fébrilité qui naît du mécontentement de soi et de l’ennui. Il avait l’habitude d’aller dans certains mauvais lieux, et, comme il aimait qu’on ne le vît ni y entrer, ni en sortir, il s’engouffrait pour offrir aux regards malveillants des passants hypothétiques le moins de surface possible, comme on monte à l’assaut. Et cette allure de coup de vent lui était restée. Peut-être aussi schématisait-elle l’intrépidité apparente de quelqu’un qui veut montrer qu’il n’a pas peur et ne veut pas se donner le temps de penser.

Pour être complet il faudrait faire entrer en ligne de compte le désir, plus il vieillissait, de paraître jeune, et même l’impatience de ces hommes, toujours ennuyés, toujours blasés, que sont les gens trop intelligents pour la vie relativement oisive qu’ils mènent et où leurs facultés ne se réalisent pas. Sans doute l’oisiveté même de ceux-là peut se traduire par de la nonchalance. Mais, surtout depuis la faveur dont jouissent les exercices physiques, l’oisiveté a pris une forme sportive, même en dehors des heures de sport et qui se traduit par une vivacité fébrile qui croit ne pas laisser à l’ennui le temps ni la place de se développer.

Devenant beaucoup plus sec, il ne faisait presque plus preuve vis-à-vis de ses amis, par exemple vis-à-vis de moi, d’aucune sensibilité. Et en revanche il avait avec Gilberte des affectations de sensibleries poussées jusqu’à la comédie, qui déplaisaient. Ce n’est pas qu’en réalité Gilberte lui fût indifférente. Non, Robert l’aimait. Mais il lui mentait tout le temps, et son esprit de duplicité, sinon le fond même de ses mensonges, était perpétuellement