Page:Proust - Le Temps retrouvé, tome 1.djvu/224

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qu’il s’était fait construire avenue du Bois. C’est un des torts des gens du monde de ne pas comprendre que s’ils veulent que nous croyions en eux il faudrait d’abord qu’ils y crussent eux-mêmes, ou au moins qu’ils respectassent les éléments essentiels de notre croyance. Au temps où je croyais, même si je savais le contraire, que les Guermantes habitaient tel palais en vertu d’un droit héréditaire, pénétrer dans le palais du sorcier ou de la fée, faire s’ouvrir devant moi les portes qui ne cèdent pas tant qu’on n’a pas prononcé la formule magique, me semblait aussi malaisé que d’obtenir un entretien du sorcier ou de la fée eux-mêmes. Rien ne m’était plus facile que de me faire croire à moi-même que le vieux domestique engagé de la veille ou fourni par Potel et Chabot était fils, petit-fils, descendant de ceux qui servaient la famille bien avant la Révolution, et j’avais une bonne volonté infinie à appeler portrait d’ancêtre le portrait qui avait été acheté le mois précédent chez Bernheim jeune. Mais un charme ne se transvase pas, les souvenirs ne peuvent se diviser, et du prince de Guermantes, maintenant qu’il avait percé lui-même à jour les illusions de ma croyance en étant allé habiter avenue du Bois, il ne restait plus grand’chose. Les plafonds que j’avais craint de voir s’écrouler quand on avait annoncé mon nom et sous lesquels eût flotté encore pour moi beaucoup du charme et des craintes de jadis couvraient les soirées d’une Américaine sans intérêt pour moi. Naturellement, les choses n’ont pas en elles-mêmes de pouvoir, et puisque c’est nous qui le leur confions, quelque jeune collégien bourgeois devait en ce moment avoir devant l’hôtel de l’avenue du Bois