Page:Proust - Le Temps retrouvé, tome 2.djvu/118

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M. Bloch père et M. Nissim Bernard et d’autres que je n’avais pas connus.

Il y avait des hommes que je savais parents d’autres sans avoir jamais pensé qu’ils eussent un trait commun ; en admirant le vieil ermite aux cheveux blancs qu’était devenu Legrandin, tout d’un coup je constatai, je peux dire que je découvris, avec une satisfaction de zoologiste, dans le méplat de ses joues la construction de celles de son jeune neveu Léonor de Cambremer, qui pourtant avait l’air de ne lui ressembler nullement ; à ce premier trait commun j’en ajoutai un autre que je n’avais pas jusqu’ici remarqué chez Léonor de Cambremer, puis d’autres et qui n’étaient aucun de ceux que m’offrait d’habitude la synthèse de sa jeunesse, de sorte que j’eus bientôt de lui comme une caricature plus vraie, plus profonde, que si elle avait été littéralement ressemblante ; son oncle me semblait maintenant le jeune Cambremer ayant pris pour s’amuser les apparences du vieillard qu’en réalité il serait un jour, si bien que ce n’était plus seulement ce qu’étaient devenus les jeunes d’autrefois, mais ce que deviendraient ceux d’aujourd’hui qui me donnait avec tant de force la sensation du Temps.

Les femmes tâchaient à rester en contact avec ce qui avait été le plus individuel de leur charme, mais souvent la matière nouvelle de leur visage ne s’y prêtait plus. Les traits où s’était gravée sinon la jeunesse du moins la beauté ayant disparu chez la plupart d’entre elles, elles avaient alors cherché si, avec le visage qui leur restait, on ne pouvait s’en faire une autre. Déplaçant le centre, sinon de gravité du moins de perspective de leur visage, en composant les traits autour de lui suivant un