Page:Proust - Le Temps retrouvé, tome 2.djvu/133

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s’étonnait pas outre mesure, car, se sentant très mal depuis quelques jours, elle avait à mots couverts suggéré à sa fille de remettre la fête, mais sa fille avait refusé. Mme de Forcheville ne l’en aimait pas moins ; toutes les duchesses qui entraient, l’admiration de tout le monde pour le nouvel hôtel inondait de joie son cœur, et quand entra la marquise de Sebran, qui était alors la dame où menait si difficilement le plus haut échelon social, Mme de Forcheville sentit qu’elle avait été une bonne et prévoyante mère et que sa tâche maternelle était achevée. De nouveaux invités ricaneurs la firent à nouveau regarder et parler toute seule, si c’est parler que tenir un langage muet qui se traduit seulement par des gesticulations. Si belle encore, elle était devenue — ce qu’elle n’avait jamais été — infiniment sympathique ; car elle qui avait trompé Swann et tout le monde, c’était l’univers entier qui maintenant la trompait ; et elle était devenue si faible qu’elle n’osait même plus, les rôles étant retournés, se défendre contre les hommes. Et bientôt elle ne se défendrait pas contre la mort. Mais après cette anticipation, revenons trois ans en arrière, c’est-à-dire à la matinée où nous sommes chez la princesse de Guermantes.

Bloch m’ayant demandé de le présenter au maître de maison, je ne fis à cela pas l’ombre des difficultés auxquelles je m’étais heurté le jour où j’avais été pour la première fois en soirée chez le prince de Guermantes, qui m’avaient semblé naturelles, alors que maintenant cela me semblait si simple de lui présenter un de ses invités, et cela m’eût même paru simple de me permettre de lui amener et présenter à l’improviste quelqu’un qu’il n’eût pas invité. Était-ce parce que,