Page:Proust - Le Temps retrouvé, tome 2.djvu/168

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de Malte se mêla à la discussion ; jeune veuve d’un vieux mari très riche et porteur d’un grand nom, elle était beaucoup demandée en mariage et en avait pris une grande assurance. « La marquise d’Arpajon est morte aussi il y a à peu près un an. — Ah ! un an, je vous réponds que non, répondit Mme  de Cambremer, j’ai été à une soirée de musique chez elle il y a moins d’un an. » Bloch, pas plus que les « gigolos » du monde, ne put prendre part utilement à la discussion, car toutes ces morts de personnes âgées étaient à une distance d’eux trop grande, soit par la différence énorme des années, soit par la récente arrivée (de Bloch, par exemple) dans une société différente qu’il abordait de biais, au moment où elle déclinait, dans un crépuscule où le souvenir d’un passé qui ne lui était pas familier ne pouvait l’éclairer. Et pour les gens du même âge et du même milieu, la mort avait perdu de sa signification étrange. D’ailleurs, on faisait tous les jours prendre des nouvelles de tant de gens à l’article de la mort, et dont les uns s’étaient rétablis tandis que d’autres avaient « succombé », qu’on ne se souvenait plus au juste si telle personne qu’on n’avait jamais l’occasion de voir s’était sortie de sa fluxion de poitrine ou avait trépassé. La mort se multipliait et devenait plus incertaine dans ces régions âgées. À cette croisée de deux générations et de deux sociétés qui, en vertu de raisons différentes, mal placées pour distinguer la mort, la confondaient presque avec la vie, la première s’était mondanisée, était devenue un incident qui qualifiait plus ou moins une personne ; sans que le ton dont on parlait eût l’air de signifier que cet incident terminait tout pour elle, on disait : « mais vous