Page:Proust - Le Temps retrouvé, tome 2.djvu/189

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déjeuner. Mais, d’une part, ils viennent rarement, connaissent des gens de peu, et la duchesse, par la superstition des Guermantes à l’égard du vieux protocole (car à la fois les gens bien élevés l’assommaient et elle tenait à la bonne éducation), faisait mettre : « Sa Majesté a ordonné à la duchesse de Guermantes », « a daigné », etc. Et les nouvelles couches, ignorantes de ces formules, en concluaient que la position de la duchesse était d’autant plus basse. Au point de vue de Mme de Guermantes, cette intimité avec Rachel pouvait signifier que nous nous étions trompés quand nous croyions Mme de Guermantes hypocrite et menteuse dans ses condamnations de l’élégance, quand nous croyions qu’au moment où elle refusait d’aller chez Mme de Sainte-Euverte, ce n’était pas au nom de l’intelligence mais du snobisme qu’elle agissait ainsi, ne la trouvant bête que parce que la marquise laissait voir qu’elle était snob, n’ayant pas encore atteint son but. Mais cette intimité avec Rachel pouvait signifier aussi que l’intelligence était, en réalité, chez la duchesse, médiocre, insatisfaite et désireuse sur le tard, quand elle était fatiguée du monde, de réalisations, par ignorance totale des véritables réalités intellectuelles et une pointe de cet esprit de fantaisie qui fait à des dames très bien, qui se disent : « comme ce sera amusant », finir leur soirée d’une façon à vrai dire assommante, en puisant la force d’aller réveiller quelqu’un, à qui finalement on ne sait que dire, près du lit de qui on reste un moment dans son manteau de soirée, après quoi, ayant constaté qu’il est fort tard, on finit par aller se coucher.

Il faut ajouter qu’une vive antipathie qu’avait depuis peu pour Gilberte la versatile duchesse pouvait