Page:Proust - Le Temps retrouvé, tome 2.djvu/220

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trompée était la manière dont le duc la trompait, si extraordinaire que cela pût paraître à qui savait l’âge d’Odette, avec Mme de Forcheville.

Quand on pensait à l’âge que devait avoir maintenant Mme de Forcheville, cela semblait, en effet, extraordinaire. Mais peut-être Odette avait-elle commencé la vie de femme galante très jeune. Et puis il y a des femmes qu’à chaque décade on retrouve en une nouvelle incarnation, ayant de nouvelles amours, parfois alors qu’on les croyait mortes, faisant le désespoir d’une jeune femme que pour elles abandonne son mari.

La vie de la duchesse ne laissait pas, d’ailleurs, d’être très malheureuse et pour une raison qui, par ailleurs, avait pour effet de déclasser parallèlement la société que fréquentait M. de Guermantes. Celui-ci qui, depuis longtemps calmé par son âge avancé, et quoiqu’il fût encore robuste, avait cessé de tromper Mme de Guermantes, s’était épris de Mme de Forcheville sans qu’on sût bien les débuts de cette liaison.

Mais celle-ci avait pris des proportions telles que le vieillard, imitant, dans ce dernier amour, la manière de celles qu’il avait eues autrefois, séquestrait sa maîtresse au point que, si mon amour pour Albertine avait répété, avec de grandes variations, l’amour de Swann pour Odette, l’amour de M. de Guermantes rappelait celui que j’avais eu pour Albertine. Il fallait qu’elle déjeunât, qu’elle dînât avec lui, il était toujours chez elle ; elle s’en parait auprès d’amis qui sans elle n’eussent jamais été en relation avec le duc de Guermantes et qui venaient là pour le connaître, un peu comme on va chez une cocotte pour connaître un souverain son amant. Certes, {{