Page:Proust - Le Temps retrouvé, tome 2.djvu/236

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des pensées peu agréables. Raisonnements inexprimés, il est vrai, mais toutes les choses graves que nous disons ne reçoivent jamais de réponse ni verbale, ni écrite. Les sots seuls sollicitent en vain deux fois de suite une réponse à une lettre qu’ils ont eu le tort d’écrire et qui était une gaffe ; car à ces lettres-là il n’est jamais répondu que par des actes, et la correspondante qu’on croit inexacte vous dit Monsieur quand elle vous rencontre, au lieu de vous appeler par votre prénom. Mon allusion à la liaison de Saint-Loup avec Rachel n’avait rien de si grave et ne put mécontenter qu’une seconde Mme de Guermantes en lui rappelant que j’avais été l’ami de Robert, et peut-être son confident au sujet des déboires qu’avait procurés à Rachel sa soirée chez la duchesse. Mais celle-ci ne persista pas dans ses pensées, la barre orageuse se dissipa, et Mme de Guermantes me répondit à ma question relative à Mme de Saint-Loup : « Je vous dirai que je crois que ça lui est d’autant plus égal que Gilberte n’a jamais aimé son mari. C’est une petite horreur. Elle a aimé la situation, le nom, être ma nièce, sortir de sa fange, après quoi elle n’a pas eu d’autre idée que d’y rentrer. Je vous dirai que ça me faisait beaucoup de peine à cause du pauvre Robert, parce qu’il avait beau ne pas être un aigle, il s’en apercevait très bien, et d’un tas de choses. Il ne faut pas le dire parce qu’elle est malgré tout ma nièce, je n’ai pas la preuve positive qu’elle le trompait, mais il y a eu un tas d’histoires. Mais si, je vous dis que je le sais, avec un officier de Méséglise, Robert a voulu se battre. C’est pour tout ça que Robert s’est engagé. La guerre lui est apparue comme une délivrance de ses chagrins de famille ; si vous voulez ma pensée,