Page:Proust - Le Temps retrouvé, tome 2.djvu/260

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mon œuvre, je sentais que la nature des circonstances qui m’avaient aujourd’hui même au cours de cette matinée chez la princesse de Guermantes donné à la fois l’idée de mon œuvre et la crainte de ne pouvoir la réaliser marquerait certainement avant tout dans celle-ci la forme que j’avais pressentie autrefois dans l’église de Combray, au cours de certains jours qui avaient tant influé sur moi et qui nous reste habituellement invisible, la forme du Temps. Cette dimension du Temps que j’avais jadis pressentie dans l’église de Combray, je tâcherais de la rendre continuellement sensible dans une transcription du monde qui serait forcément bien différente de celle que nous donnent nos sens si mensongers. Certes, il est bien d’autres erreurs de nos sens, on a vu que divers épisodes de ce récit me l’avaient prouvé, qui faussent pour nous l’aspect réel de ce monde. Mais enfin je pourrais, à la rigueur, dans la transcription plus exacte que je m’efforcerais de donner, ne pas changer la place des sons, m’abstenir de les détacher de leur cause à côté de laquelle l’intelligence les situe après coup, bien que faire chanter la pluie au milieu de la chambre et tomber en déluge dans la cour l’ébullition de notre tisane, ne doit pas être en somme plus déconcertant que ce qu’ont fait si souvent les peintres quand ils peignent très près ou très loin de nous, selon que les lois de la perspective, l’intensité des couleurs et la première illusion du regard nous les font apparaître, une voile ou un pic que le raisonnement déplacera ensuite de distances quelquefois énormes.

Je pourrais, bien que l’erreur soit plus grave, continuer comme on fait à mettre des traits dans le