Page:Proust - Les Plaisirs et les Jours, 1896.djvu/43

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
12
LES PLAISIRS ET LES JOURS.

dule et riche écoutait naïvement les doléances et réparait magnifiquement les déboires.

II

« La chair est triste, hélas… »
Stéphane Mallarmé.

Le lendemain de la visite d’Alexis, le vicomte de Sylvanie était parti pour le château voisin où il devait passer trois ou quatre semaines et où la présence de nombreux invités pouvait distraire la tristesse qui suivait souvent ses crises.

Bientôt tous les plaisirs s’y résumèrent pour lui dans la compagnie d’une jeune femme qui les lui doublait en les partageant. Il crut sentir qu’elle l’aimait, mais garda pourtant quelque réserve avec elle : il la savait absolument pure, attendant impatiemment d’ailleurs l’arrivée de son mari ; puis il n’était pas sûr de l’aimer véritablement et sentait vaguement quel péché ce serait de l’entraîner à mal faire. À quel moment leurs rapports avaient-ils été dénaturés, il ne put jamais se le rappeler. Maintenant, comme en vertu d’une entente tacite, et dont il ne pouvait déterminer l’époque, il lui baisait les poignets et lui passait la main autour du cou. Elle paraissait si heureuse qu’un soir il fit plus : il commença par l’embrasser ; puis il la caressa longuement et de nouveau l’embrassa sur les yeux, sur la