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EN MÉMOIRE DES ÉGLISES ASSASSINÉES

Mais alors ce ne peut être que lui ! » Ils se lèvent, allument une bougie tout en la protégeant contre le vent de la porte qu’ils ont déjà ouverte dans leur impatience, tandis qu’au bas du parc la trompe dont ils ne peuvent plus méconnaître le son devenu joyeux, presque humain, ne cesse plus de jeter son appel uniforme comme l’idée fixe de leur joie prochaine, pressant et répété comme leur anxiété grandissante. Et je songeais que dans Tristan et Isolde (au deuxième acte d’abord quand Isolde agite son écharpe comme un signal, au troisième acte ensuite à l’arrivée de la nef) c’est, la première fois, à la redite stridente, indéfinie et de plus en plus rapide de deux notes dont la succession est quelquefois produite par le hasard dans le monde inorganisé des bruits ; c’est, la deuxième fois, au chalumeau d’un pauvre pâtre, à l’intensité croissante, à l’insatiable monotonie de sa maigre chanson, que Wagner, par une apparente et géniale abdication de sa puissance créatrice, a confié l’expression de la plus prodigieuse attente de félicité qui ait jamais rempli l’âme humaine.

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