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L’AFFAIRE LEMOINE

Tillet, dont il avait voulu séduire la belle-sœur (voir une Fille d’Ève), lui avait fait faire un puff à la Bourse, soutint dans son journal la paix à tout prix.

La France ne fut alors sauvée d’une guerre désastreuse que par l’intervention, restée longtemps inconnue des historiens, du maréchal de Montcornet, l’homme le plus fort de son siècle après Napoléon. Encore Napoléon n’a-t-il pu mettre à exécution son projet de descente en Angleterre, la grande pensée de son règne. Napoléon, Montcornet, n’y a-t-il pas entre ces deux noms comme une sorte de ressemblance mystérieuse ? Je me garderais bien d’affirmer qu’ils ne sont pas rattachés l’un à l’autre par quelque lien occulte. Peut-être notre temps, après avoir douté de toutes les grandes choses sans essayer de les comprendre, sera-t-il forcé de revenir à l’harmonie préétablie de Leibniz. Bien plus, l’homme qui était alors à la tête de la plus colossale affaire de diamants de l’Angleterre s’appelait Werner, Julius Werner, Werner ! ce nom ne vous semble-t-il pas évoquer bizarrement le moyen âge ? Rien qu’à l’entendre, ne voyez-vous pas déjà le docteur Faust, penché sur ses creusets, avec ou sans Marguerite ? N’implique-t-il pas l’idée de la pierre philosophale ? Werner ! Julius ! Werner ! Changez deux lettres et vous avez Werther. Werther est de Gœthe.

Julius Werner se servit de Lemoine, un de ces hommes extraordinaires qui, s’ils sont guidés par un destin favorable, s’appellent Geoffroy Saint-Hilaire, Cuvier, Ivan le Terrible, Pierre le Grand, Charlemagne, Berthollet, Spalanzani, Volta. Changez les circonstances et ils finiront comme le maréchal d’Ancre, Balthazar Cleas, Pugatchef, Le Tasse, la comtesse

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