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MÉLANGES

elles sortirent. » Il n’en est pas moins vrai que nous connaissons tous le fait d’un ignorant, d’un simple rêveur, entrant dans une cathédrale, sans essayer de comprendre, se laissant aller à ses émotions, et éprouvant une impression plus confuse sans doute, mais peut-être aussi forte. Comme témoignage littéraire de cet état d’esprit, fort différent à coup sûr de celui du savant dont nous parlions tout à l’heure, se promenant dans la cathédrale comme dans une « forêt de symboles, qui l’observent avec des regards familiers », mais qui permet pourtant de trouver dans la cathédrale, à l’heure des offices, une émotion vague, mais puissante, je citerai la belle page de Renan appelée la Double Prière :

« Un des plus beaux spectacles religieux qu’on puisse encore contempler de nos jours (et qu’on ne pourra plus bientôt contempler, si la Chambre vote le projet en question) est celui que présente à la tombée de la nuit l’antique cathédrale de Quimper. Quand l’ombre a rempli les bas côtés du vaste édifice, les fidèles des deux sexes se réunissent dans la nef et chantent en langue bretonne la prière du soir sur un rythme simple et touchant. La cathédrale n’est éclairée que par deux ou trois lampes. Dans la nef, d’un côté, sont les hommes, debout ; de l’autre, les femmes agenouillées forment comme une mer immobile de coiffes blanches. Les deux moitiés chantent alternativement et la phrase commencée par l’un des chœurs est achevée par l’autre. Ce qu’ils chantent est fort beau. Quand je l’entendis, il me sembla qu’avec quelques légères transformations, on pourrait l’accommoder à tous les états de l’humanité Cela surtout me fit rêver une prière qui, moyen-

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