Page:Proust - Pastiches et Mélanges, 1921.djvu/222

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Dans cet œil « qui pend sur l’oreiller » je reconnais arraché, dans le geste le plus terrible que nous ait légué l’histoire de la souffrance humaine, l’œil même du malheureux Œdipe ! « Œdipe se précipite à grands cris, va, vient, demande une épée… Avec d’horribles cris il se jette contre les doubles portes, arrache les battants des gonds creux, se rue dans la chambre où il voit Jocaste pendue à la corde qui l’étranglait. Et la voyant ainsi, le malheureux frémit d’horreur, dénoue la corde, le corps de sa mère n’étant plus retenu tombe à terre. Alors, il arrache les agrafes d’or des vêtements de Jocaste, il s’en crève les yeux ouverts, disant qu’ils ne verront plus les maux qu’il avait soufferts et les malheurs qu’il avait causés, et criant des imprécations il frappe encore ses yeux aux paupières levées, et ses prunelles saignantes coulaient sur ses joues, en une pluie, une grêle de sang noir. Il crie qu’on montre à tous les Cadméens le parricide. Il veut être chassé de cette terre. Ah ! l’antique félicité était ainsi nommée de son vrai nom. Mais à partir de ce jour rien ne manque à tous les maux qui ont un nom, les gémissements, le désastre, la mort, l’opprobre. » Et en songeant à la douleur d’Henri van Blarenberghe quand il vit sa mère morte, je pense aussi à une autre fou bien malheureux, à Lear étreignant le cadavre de sa fille Cordelia. « Oh ! elle est partie pour toujours ! Elle est morte comme la terre. Non, non, plus de vie ! Pourquoi un chien, un cheval, un rat ont-ils la vie, quand tu n’as même plus le souffle ? Tu ne reviendras plus jamais ! jamais ! jamais ! jamais ! jamais ! Regardez ! Regardez ses lèvres ! Regardez-la ! »

Malgré ses horribles blessures, Henri van Blarenberghe