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pourrait presque aller jusqu’à dire, renouvelant peut-être, par cette interprétation d’ailleurs toute partielle, la vieille distinction entre classiques et romantiques, que ce sont les publics (les publics intelligents, bien entendu) qui sont romantiques, tandis que les maîtres (même les maîtres dits romantiques, les maîtres préférés des publics romantiques) sont classiques. (Remarque qui pourrait s’étendre à tous les arts. Le public va entendre la musique de M. Vincent d’Indy, M. Vincent d’Indy relit celle de Monsigny[1]. Le public va aux expositions de M. Vuillard et de

    en ce qui concerne son époque, contraste singulièrement avec ses prétentions à la clairvoyance, à la prescience. « Tout le monde est fort, dit-il, dans Chateaubriand et son groupe littéraire, à prononcer sur Racine et Bossuet… Mais la sagacité du juge, la perspicacité du critique, se prouve surtout sur des écrits neufs, non encore essayés du public. Juger à première vue, deviner, devancer, voilà le don critique. Combien peu le possèdent. »

  1. Et, réciproquement, les classiques n’ont pas de meilleurs commentateurs que les « romantiques ». Seuls, en effet, les romantiques savent lire les ouvrages classiques, parce qu’ils les lisent comme ils ont été écrits, romantiquement, parce que, pour bien lire un poète ou un prosateur, il faut être soi-même, non pas érudit, mais poète ou prosateur. Cela est vrai pour les ouvrages les moins « romantiques ». Les beaux vers de Boileau, ce ne sont pas les professeurs de rhétorique qui nous les ont signalés, c’est Victor Hugo :

    Et dans quatre mouchoirs de sa beauté salis
    Envoie au blanchisseur ses roses et ses lys.

    C’est M.  Anatole France :

    L’ignorance et l’erreur à ses naissantes pièces
    En habits de marquis, en robes de comtesses.

    Le dernier numéro de la Renaissance latine (15 mai 1905) me permet, au moment où je corrige ces épreuves, d’étendre, par un nouvel exemple, cette remarque aux beaux-arts. Elle nous montre, en effet, dans M. Rodin (article de M. Mauclair) le véritable commentateur de la statuaire grecque.

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