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Page:Psichari - L'Appel des armes (1919).djvu/160

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sous-officier. Il fit une centaine de mètres. Mais la pluie se mit à chanter ; un épais rideau de brume cachait toute la campagne. Au bout d’une heure, Vincent était perdu. Il partit au grand trot, sauta des haies et des fossés. Il éprouvait une joie amère à se sentir égaré dans l’humide fraîcheur solitaire.

— Fichu métier, se disait-il ; mais, au même moment, par une sorte de clarté intime, comme il était abandonné à lui-même, il reconnaissait de toute évidence combien son lien était solide, et que partout ailleurs désormais il n’éprouverait que de l’ennui et de l’accablement. Jamais Maurice ne se sentit plus en sécurité que ce jour-là, lorsqu’il eut rejoint, à la Croix de Beaumont, son chef et ses camarades.

Pourtant le capitaine Nangès suivait les progrès du jeune homme avec un intérêt amusé. Il n’osait point se dire que c’était là de l’amitié. Mais il y a de cet état d’âme une fatalité plus impérieuse encore que de l’amour, et, plus encore que l’amour, l’amitié nous dirige et nous commande.

Le lien qui unissait Nangès à Vincent, si ténu, si lointain qu’il fût, était de ceux qui dominent toute une vie. Mais ni l’un ni l’autre