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Page:Psichari - L'Appel des armes (1919).djvu/219

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comprendrez. L’éminent fonctionnaire était tombé en arrêt, en plein quartier, devant une fontaine qui ne donnait point d’eau filtrée. Horreur et malédiction ! Des soldats pouvaient boire de cette eau. Ils en buvaient certainement. Ils buvaient, Messieurs, de l’eau non filtrée ! La mode était à l’hygiène, en ce moment. Le pauvre homme n’en revenait pas. Il manifesta son mécontentement et voulut montrer aux officiers qui l’entouraient la réalité, l’imminence du danger. Il voulut montrer que, oui, les soldats du quartier d’artillerie buvaient certainement de l’eau contaminée, et, comme un vieux sous-officier se trouvait là, il le prit à témoin : « Ainsi, vous, maréchal des logis, dit-il, je suis sûr que vous buvez de cette eau ! » Mais l’autre, sans se troubler, lui répond de sa voix rugueuse, flegmatique en même temps : « Pardon, Monsieur le Ministre, moi, je ne bois jamais d’eau ! » Ce fut un saisissement. C’était un de nos plus vieux sous-officiers, l’un des meilleurs aussi, mais on sentait à sa voix qu’il avait dit vrai ! Toute l’hygiène moderne, le travail de tant de commissions et de sous-commissions, la vertu et le zèle de tant de fonctionnaires, venaient d’échouer devant