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Page:Pujo - Phyllis, 1922.djvu/116

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PHYLLIS

rassurée je ne savais pourquoi, du vague sentiment d’inquiétude que j’avais éprouvé l’instant d’avant. M. Hastings doit être fatigué de me traîner. Je crois qu’il ne sera pas fâché de me tirer sa révérence. À moins que vous ne soyez déjà pris ?

— Mais non, je venais justement vous chercher… Ah ! pardon, un instant…

Pendant nos dernières paroles, l’étrangère s’était rapprochée au point de nous entendre, et soudain, tendant ses mains gantées à mon interlocuteur, au moment où je faisais le même geste, elle saisit celles de sir Garlyle avant qu’il ne touchât les miennes…

Puis, avec un indéfinissable sourire à mon adresse :

— Venez, dit-elle…

Entraîné, fasciné à son tour, sir Francis se laissa enlever… me laissant interdite à ma place.

Il retourna la tête une seconde et me fit une drôle de petite grimace qui signifiait :

« Vous le voyez ; j’étais venu pour vous… on m’enlève, je n’y puis rien. »

By Jove ! s’écria le gros Hastings avec plus d’énergie que de distinction, c’est ce que j’appellerai un aplomb pharamineux ! Ce n’est pas que je sois fâché de vous garder, mistress Carrington — appuyez-vous bien sur moi, vous n’avez pas l’air solide, et puis, permettez-moi de vous dire que vous ne faites plus du tout attention à vos pieds — là… droite ! gauche !… penchez-vous… Elle vous l’a enlevé, soufflé. À mon nez et à ma barbe ! C’est trop fort !

Nous finissions d’arriver devant le groupe de nos amis. Ces dames ayant prié mon compagnon de leur dire la cause de son indignation, il le fit en y mêlant des réflexions personnelles sur la patineuse en question et chacun dit son mot au sujet de l’incident.

— Ce doit être une Américaine, dit ma belle-sœur, pour être capable d’un tel sans-gêne.

Blanche réserva son opinion. Elle épiait mes impressions sur mon visage, tandis que je suivais le couple des yeux, et je compris à son sourire ironique qu’elle se réjouissait au fond de ma déconvenue.

Ah ! que la jalousie était loin de moi cependant. Sir Francis aurait pu patiner ou valser avec cette femme tout le jour et toute la nuit sans me donner une seconde d’émoi. Non ! Je me répétais à moi-même : Qui est-elle ? Pourquoi m’a-t-elle regardée ainsi ? Qu’est venue faire cette étrangère dans notre pays ? Et chaque fois que celle-ci repassait devant nous, je sentais son regard d’oiseau de proie qui me fixait, me scrutait, m’annihilait… Pour échapper au malaise de cette fascination, je me prétendis