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Page:Pujo - Phyllis, 1922.djvu/139

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PHYLLIS

La personne en question, la figure levée sur un portrait de mon mari, tout jeune homme, qui orne l’un des panneaux, me tournait le dos et je ne vis d’abord qu’un très joli et original costume de lainage rouge foncé, une magnifique fourrure de zibeline jetée sur ses épaules, et le panache noir d’une aigrette fixée à un petit chapeau, noir également.

Elle se retourna tout à coup et je poussai un léger cri.

C’était l’Américaine du skating.

Très grande, très belle, elle fixait ses immenses yeux noirs sur moi, petite et toute mince, en face d’elle.

Ce regard était si ardent, si aigu, qu’un souvenir me traversa l’esprit ; avec un malaise croissant, je pensai au fantôme de Lilian.

Je restai là, comme fascinée… J’avais très peur.

Mark était absent, les domestiques éloignés ; qu’est-ce que cette étrangère était venue faire chez moi ?

— Voulez-vous vous asseoir, madame, dis-je enfin, en dissimulant mon émotion de mon mieux.

— Merci. Non. Quand vous saurez pourquoi je suis venue vous serez moins accueillante, je le crains. Ainsi voilà donc sa femme… une enfant… même pas belle, une simple enfant !

Son attitude était si étrange que je pensai que cette personne ne jouissait pas de toutes ses facultés. Je me rapprochai du bouton électrique pour sonner.

Elle devina mon intention et retint ma main d’un simple geste.

— Ne sonnez pas. Ce que j’ai à vous dire doit se passer entre nous.

« Votre mari, du reste, est sorti… J’ai attendu de l’avoir vu franchir la grille pour entrer moi-même, et j’espère que vous n’auriez pas l’audace de me faire jeter dehors par vos domestiques.

» Vous n’avez pas autre chose à faire qu’à m’écouter, croyez-moi, mistress Carrington.

J’étais si effrayée que je ne trouvai rien à répliquer.

À chaque minute, je me sentais plus terrifiée. Je réussis à dire :

— Eh bien ! parlez, madame, et lui indiquai une chaise. Mais elle ne s’assit pas : elle s’accouda à la cheminée sans cesser de me regarder.

L’inconnue se présenta avec un petit salut narquois à mon adresse :

— Miss Fanny Dilkes… Ce nom ne vous dit rien ? Vous ne l’avez jamais entendu ? Non ! Le beau Mark sait garder ses secrets.