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Page:Puybusque - L'Arme du fou, paru dans La Revue Populaire, Montréal, Sept 1918.pdf/2

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L’ARME DU FOU

Par Berthe de PUYBUSQUE


PREMIÈRE PARTIE

I


C’était dans l’un des paysages les plus accidentés et les plus sauvages du pays de Foix que s’élevait le manoir de Gabach.

Gabach est le vieux nom ariégeois du blé noir, du sarrasin.

Dans les terrains pauvres de ces hautes altitudes, où la vigne ne mûrit pas, où le blé reste misérable, le sarrasin, moins exigeant, est cultivé avec succès ; sobres autant que leurs frères lointains d’Armorique, les Ariégeois de jadis vivaient de bouillie de ce blé noir, alternant dans leur alimentation avec le maïs et les pommes de terre, et, sur ses petites fleurs blanches, les abeilles, recueillaient le miel brun de l’arrière-saison, tout parfumé du thym et du serpolet des hauts plateaux.

De ces petits champs de sarrasin, cultivés autour de ses murailles dans l’intervalle des bois touffus, le manoir, très anciennement, avait été nommé Gobach.

Un manoir, au début du siècle précédent, presque en ruines. Deux tours en poivrières y défendaient un corps de logis vaste, massif et lézardé. Le fossé profond qui l’isolait de son vieux parc n’existait presque plus ; les douves brisées des ponts, les amas de terre éboulée qui l’avaient comblé en maints endroits, s’étaient couverts d’une végétation de plantes sauvages, de ronces, de chardons, au milieu desquels avaient poussé des touffes d’ormes, de bouleaux et d’aulnes devenus arbres à leur tour. Tout cela ne faisait plus qu’un prolongement du parc abandonné, montant à l’assaut de la bâtisse où, par les fenêtres brisées, se hasardaient parfois, avec l’audace des intrus qu’on n’a pas la force de chasser, de longues branches de lierre, ou de vigoureux rejetons d’ormeaux.

Les réparations s’imposaient, mais la fortune, toujours plus obérée, des propriétaires ne leur permettait pas de songer à les accomplir. Amoindris dans leur train et dans leur influence, les Lissac vivaient en habereaux assez désargentés, peu à peu aliénant des parcelles de leurs terres.

Vers 1850, les choses changèrent de face par le mariage de François de Lissac, fils unique du propriétaire de Gabach, avec