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Page:Puybusque - L'Arme du fou, paru dans La Revue Populaire, Montréal, Sept 1918.pdf/40

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se vendre ; imbue de la morale mondaine, mais dépourvue de tout principe religieux, Raymond la jugea tout à fait propre à le servir dans ses desseins.

Il la plaça auprès de Marie en qualité de dame de compagnie, et Marie, sans l’aimer, l’accepta, ainsi qu’elle acceptait tout.

Elle eut pourtant comme une velléité de rébellion, le lendemain de son retour, quand Madeleine et Fanchette, s’étant présentées pour la voir, furent admises, mais avec des formes cérémonieuses, et sous le petit œil vigilant de Mme Guilleminot.


IV


Le retour, la vue des amies de son enfance, des lieux chers, avaient un peu dilaté le cœur déprimé de la pauvre enfant. Elle avait goûté comme un repos exquis ce silence nocturne de la campagne au milieu duquel les murmures coutumiers du vent et des bêtes sont une musique calmante plutôt qu’un bruit.

À sa fenêtre, devant une aube de septembre lumineuse, odorante et baignée de rosée comme une matinée d’avril, elle avait entendu, de tous les coins du vieux parc, de toutes les ramures nombreuses, enchevêtrées dans cette partie des anciens fossés, sous sa fenêtre, se lever la douce théorie de ses souvenirs : là elle avait joué enfant, s’ébattant dans toute la liberté qu’ont les chevreaux et les poulains sautant autour de leurs mères, là souvent, elle avait réprimé la fantaisie disciplinée de Fanchette ; voilà justement l’arbre où l’aventureuse enfant avait essayé de capturer le nid de ces chardonnerets auxquels pourtant Marie avait réussi à conserver leur liberté. Il était déjà grand, à cette époque-là, cet aulne, montant vers la lumière, au milieu de l’inextricable fourré, aux épines duquel Fanchette avait laissé plus d’un lambeau de ses petits jupons, mais combien plus grand maintenant ! Du fossé en contre-bas, ses premières branches atteignaient d’abord les fondations des murailles, puis, toujours, plus vigoureuses, s’étaient déployées et faisaient à présent un moutonnement de verdure splendide, à portée de la main, devant la fenêtre de la chambre de Marie. Mais c’était bien le même aulne, elle ne pouvait s’y tromper, gardant en sa mémoire cette scène, si lointaine, avec la netteté qu’ont les souvenirs enfantins, incrustés en nous.

Et cette vieille pierre ébréchée, au pied même de l’aulne, ne la reconnaissait-elle pas aussi ? Les herbes parasites et les ronces qui, sans cesse, tentaient de l’envahir, étaient autrefois sans cesse coupés et enlevés. Marie savait bien par quelle main.

Et voilà que, ce matin même, elle croyait voir, et, comme pour préciser délicieusement ce rappel d’un passé disparu, elle voyait, en effet, la pierre dégagée, conservant à peine ces mousses rares, dorées au soleil, qui la faisaient au regard plus veloutée et plus douce, nette d’ailleurs comme un autel, et sur cet autel, en témoignage du naïf culte d’antan, le bouquet coutumier, un faisceau de bruyères roses, de clochettes mauves, de pâles saponaires et d’odorantes branches de sureau, un bouquet pieux, tout étincelant de rosée :

— Mon pauvre Loup ! avait pensé Marie, toute émue, et vite elle sortit, altérée de respirer ces fleurs fidèles.

— Où courez-vous, chère enfant, êtes-vous souffrante ? interrogea, de la chambre voisine, la voix de Mme Guilleminot, une voix grasse, enrouée, encore tout empâtée de sommeil.

— Non, madame, non merci, ne vous dérangez pas, je vais remonter à l’instant.

— Mais je ne veux pas que vous sortiez,