Page:Quatremère de Quincy - Considérations morales sur la destination des ouvrages de l’art, 1815.djvu/58

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chose est capable d’étouffer chez l’un et chez l’autre le principe fécond qui produit les dons du génie, c’est l’esprit de critique, d’analyse et de méthode. Après s’être exercé sur les ouvrages faits, il exerce encore son empire sur ceux qui se font, et sur ceux qui se feront. Sans doute, s’il entre avec une juste mesure dans les opérations de l’artiste qui exécute, et de l’amateur qui juge, la culture des Arts en retirera quelques profits : mais qu’on ne s’y trompe pas, la serpe qui émonde est fort différente de l’instrument qui plante, ou de celui qui arrose.

Comme les collections des chefs-d’œuvre n’ont lieu qu’après les siècles qui ont produit ces chefs-d’œuvre, l’esprit de critique ne se développe aussi, qu’après que les chefs-d’œuvre ont été créés. L’abus des Musées, et l’abus de la critique naissent donc ensemble, et procèdent également d’un principe d’impuissance. L’un et l’autre tendent à créer une fausse admiration et des talens factices. Le trop de critique nuit autant aux productions de l’artiste qu’aux jouissances du public.

L’artiste, à force de s’habituer à craindre la critique, ne s’abandonne plus à l’essor naturel de son talent : il porte toute son attention, non à marcher, mais à savoir comment il faut marcher pour