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Quelques considérations très actuelles
sur le cachet artistique de l’Aubette




Pour apprécier à sa juste valeur le cacher artistique de l’Aubette, l’œuvre de M. et de Mme Arp et de M. Doesburg, il faut faire preuve de cette vertu d’impartialité que Nietzsche appela un jour la « pathos de la distance ».

L’éloge de Messieurs Arp et Doesburg n’est plus à faire. Tous ceux qui ont suivi le mouvement de la peinture et de l’architecture dite « moderne » ont rencontré les noms de ces deux artistes, chaque fois que le modernisme était synonyme de forme pure, d’équilibre parfait, de simplicité élégante et d’harmonie abstraite, car c’est bien à l’abstraction que vise l’art moderne. La chose « en soi », longtemps privilège des philosophes devient ici, par une transposition de valeurs, la forme « en soi », la couleur « en soi », la lumière « en soi ». L’Aubette forme pour nous une sorte de grandeur complète dans laquelle nous vivons. Il n’est de partie dans cette triple étendue qui ne soit étudiée et réfléchie. Nous sommes pris et maîtrises dans les proportions qu’ils ont choisies. Nous ne pouvons y échapper.

L’espace primitif est substitué par un espace intelligible et changeant.

Trois personnalités indépendantes et similaires, s’y rencontrent. Le dancing d’en haut de M. Doesburg. Celui d’en bas à M. Arp. Le salon de thé de Mme Arp.

Incontestablement, les créateurs s’y révèlent. L’esprit clair, net et mathématique de Dœsburg, l’élan, le mysticisme, la droiture de M. Arp, la subtilité, la poésie, le féminisme de Mme Arp.

Il est impossible de ne pas être frappé, dès l’abord par le ton général de l’œuvre. Ton de raffinement et d’élégance qui s’impose spontanément et qui se subdivise en une infinité d’impressions. La masse, l’opposition des couleurs, les jeux de lumière donnent de la profondeur à certaines surfaces, mettent des valeurs infinies dans toutes les modulations de je ne sais quelle secrète architecture, qui est le don du génie.

Et si d’après P. Valéry, le « génie » est une habitude que prennent certains, MM. Arp, Dœsburg et Mme Arp satisfont à toutes les exigences de la conscience pour posséder cette habitude.

Plus de ce romantique qui encombrait jusqu’à présent les œuvres dites « décoratives ». Pareille à la musique de Stravinsky qui a négligé la mélodie, l’architecture de MM. Arp et Dœsburg a éliminé tout le superfétatoire, toute la fantaisie facile — il en est résulté un rythme pur — mais combien personnel. L’équilibre final atteint, et si merveilleusement atteint, est un summum de l’art moderne, qui y a trouvé sa cristallisation.

La nouvelle « décoration », négligeant les apparences particulières dont le monde et l’esprit sont occupés ordinairement, plantes, bêtes et gens, est, au milieu de ce monde, comme le témoignage d’un autre monde, ou bien un exemple d’une structure et d’une durée qui ne sont pas celles des êtres, mais celles des formes et des lois.

On pourrait surenchérir à l’infini sur un sujet aussi tentant.

Mais, comme a dit un poète moderne :

« Un bon jardinier ne parfume pas ses roses. »

H. A. C.