Page:Quevedo - Don Pablo de Segovie.djvu/126

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mis pied à terre, et comme il ne pouvait lâcher sa culotte, je fus obligé de le mettre moi-même sur l’âne. Mais je fus étonné de ce que je découvris en le touchant. Dans la partie de derrière que couvrait son manteau, il n’avait aux découpures que la chair de ses fesses pour doublure. Cet homme, s’étant aperçu qu’il était démasqué, prit son parti et me dit : « Monsieur le licencié, tout ce qui reluit n’est pas or. À ma fraise, à mon collet et à tout mon extérieur, j’ai dû vous paraître un très grand seigneur. Combien y a-t-il de gens dans le monde qui couvrent ainsi de haillons ce que vous avez touché ! » Je lui protestai que je m’étais persuadé toute autre chose que ce que je voyais.

« Eh bien ! répliqua-t-il, vous n’avez encore rien vu, car j’ai sur moi tout mon vaillant, je ne cache rien.

« Vous voyez en moi un vrai gentilhomme, issu d’une maison et d’une famille montagnarde, et si la noblesse me soutenait comme je la soutiens, je n’aurais rien de plus à désirer. Mais, monsieur le licencié, sans pain et sans viande le bon sang ne se conserve pas, et par la miséricorde de Dieu, tous les hommes l’ont rouge, d’où vient que celui qui n’a rien a mauvaise grâce de vouloir paraître gentilhomme. Je suis revenu à présent des titres de noblesse depuis que, m’étant trouvé un jour à jeun, on ne voulut pas me donner sur eux, dans une gargotte, seulement deux bouchées. Dira-t-on que je n’ai pas de lettres d’or ? Mais il vaudrait mieux avoir de l’or en lingots qu’en