Page:Quevedo - Don Pablo de Segovie.djvu/135

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on ne puisse en satisfaire tant à la fois, nous faisons néanmoins en sorte qu’elles soient toutes contentes tour à tour.

« En voyant mes bottines, qui croira qu’elles sont à cru sur la chair, sans bas ni rien autre chose entre les deux ? Qui peut s’imaginer, quand on voit cette fraise, que je n’ai point de chemise ? Eh bien ! monsieur le licencié, un gentilhomme peut se passer de tout, mais d’une fraise ouverte et empesée, non pas ! Premièrement parce que c’est un grand ornement pour la personne, et puis, parce qu’après l’avoir retournée de l’autre côté, elle sert d’aliment à l’homme, qui peut se sustenter avec l’amidon, en le suçant adroitement. Enfin, monsieur le licencié, un gentilhomme de notre sorte doit avoir plus de besoins qu’une femme grosse, et malgré cela, on vit à Madrid. Tantôt il se voit dans l’opulence et la bourse bien garnie, tantôt à l’hôpital. Mais enfin l’on vit, et quand on sait se conduire, on est roi du peu que l’on a. »

Ces manières de vivre du gentilhomme me plurent et m’amusèrent si fort, qu’uniquement occupé de son récit, j’allai à pied jusqu’à Las Rosas, où nous restâmes cette nuit. Il soupa avec moi, car il n’avait pas une obole, et je crus encore lui être redevable de ses avis, qui m’ouvraient les yeux et me donnaient du goût pour ce genre de vie. Je lui déclarai mes désirs avant que de nous coucher, et il m’embrassa mille fois, en disant qu’il avait toujours espéré que ses raisons feraient impression sur un homme favorisé