Page:Quevedo - Don Pablo de Segovie.djvu/165

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l’œil sans prunelle qu’ils avaient au derrière, le geôlier, qui comptait bien que pour ne pas être plongé dans la caverne, je lui ferais la galanterie d’un autre doublon, saisit l’occasion et m’ordonna d’y descendre. Je me déterminai d’obéir, plutôt que d’alléger ma bourse plus qu’elle ne l’était. Ainsi je fus conduit en bas, où mes camarades me reçurent avec de grands témoignages de joie et de satisfaction. J’eus une assez mauvaise nuit. Le jour vint ; nous sortîmes du cachot, et nous nous regardâmes.

La première chose que l’on me notifia, ce fut de donner pour la limpieça, la netteté (mais non celle de la Vierge sans tache), sous peine d’avoir les étrivières. Je payai sur-le-champ six réaux. Mes camarades n’avaient rien à donner, aussi on les renvoya à la nuit. Il y avait dans le cachot un jeune homme borgne, haut comme un colosse, ayant de grandes moustaches, un air de mauvaise humeur et de larges épaules qui avaient été déjà fustigées et qui en portaient les marques. Il était plus chargé de fer que n’en produit toute la Biscaye ; il avait deux gros anneaux aux pieds et une chaîne très pesante. On l’appelait le Souteneur de mauvais lieux. Il disait être en prison pour des choses à vent, ce qui me fit soupçonner que ce pouvait être pour des soufflets, des hautbois ou des éventails. Quand on lui demandait si c’était pour quelque chose de cela, il répondait que non, mais pour des péchés de derrière ; de sorte que je crus qu’il entendait parler de fautes passées et anciennes. Cependant je sus à la fin que