Page:Quevedo - Don Pablo de Segovie.djvu/176

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l’amitié de tout le monde ; mais il n’était pas encore question d’amour, parce que faute d’être habillé comme il convenait (quoique je me fusse vêtu un peu mieux par le moyen du concierge, que je fréquentais toujours, l’entretenant dans l’idée de la parenté, uniquement pour le pain et la viande que je mangeais chez lui), on ne faisait pas de moi le cas qu’on devait. Pour faire croire que j’étais riche, mais que je ne voulais pas le donner à connaître, je m’avisai de m’envoyer demander à la maison par des amis, dans le temps que je n’y étais pas. Le premier qui se présenta demanda le seigneur Don Ramiro de Guzman (car ce sont là les noms que j’avais pris, mes amis m’ayant dit qu’il ne coûtait rien pour en changer, et qu’au contraire, cela pouvait être utile). Il demanda, dis-je, Don Ramiro, homme d’affaires et riche, qui venait de faire deux marchés avec le roi. Mes hôtesses me méconnurent à ce portrait et répondirent qu’elles n’avaient chez elles qu’un Don Ramiro de Guzman plus déguenillé que riche, de petite stature, laid de visage, et pauvre. « C’est précisément celui-là que je cherche, répliqua-t-il, et je ne voudrais pas plus de rentes au service de Dieu, qu’il en a au delà de deux mille ducats. » Il leur débita encore d’autres menteries, qui les rendirent stupéfaites. Enfin il leur laissa une fausse lettre de change de neuf mille écus, tirée sur moi, les priant de me la remettre pour que je l’acceptasse, et cela fait, il s’en alla.

La mère et la fille, éblouies par là, formèrent le