Page:Quevedo - Don Pablo de Segovie.djvu/183

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déterminais à lui demander grâce au nom de Jésus-Christ, et puis, me rappelant que cet Homme-Dieu avait souffert de son vivant de la part des officiers de justice, je n’osais plus m’y hasarder. Mille autres fois, je voulus me détacher ; mais il s’en défiait, et se levait de temps en temps pour venir me visiter les nœuds, car il ne dormait pas, et songeait plus à la manière de forger l’imposture que moi au moyen de me tirer d’affaire. À la pointe du jour, il sauta du lit, et il s’habilla si matin que dans toute la maison il n’y avait que lui et les autres témoins sur pied. Il prit la courroie et me repassa de nouveau très bien les côtes, en me reprochant l’affreux vice de voler, comme s’il eût été convaincu que je l’eusse.

Nous en étions là, lui me rossant et moi presque prêt à lui donner de l’argent, parce que c’est là la pierre contre laquelle ne résiste pas la dureté de pareils diamants, lorsqu’à la sollicitation de ma bien-aimée, qui m’avait vu tomber et bâtonner et qui était enfin persuadée que ce n’était point un enchantement, mais une disgrâce, le Portugais et le Catalan entrèrent tous deux. Dès que le greffier vit qu’ils me parlaient, il tira sa plume et voulut les insérer comme complices dans le procès. Le Portugais s’en tint offensé et le maltraita un peu en paroles, en disant qu’il était un seigneur, gentilhomme de la maison du roi, que j’étais un très bon gentilhomme et qu’il était affreux de me tenir ainsi garrotté. En proférant ces mots, il se mit en devoir de me délier et à l’instant le greffier cria de toutes ses forces :