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Page:Quevedo - Don Pablo de Segovie.djvu/207

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que l’on connût. Je me suis arrêté ici à la dépeindre pour que l’on soit touché de voir dans quelles mains j’étais tombé, et qu’on sente mieux ce qu’elle me dit. Voici comme elle débuta, car elle ne parlait jamais que par proverbes :

« Toujours tirer d’un sac et n’y rien mettre, c’est le moyen, mon cher enfant, d’en trouver bientôt le fond. De telle poussière telle boue. Telles noces telles croûtes. Je ne te comprends pas, ni ne sais ta manière de vivre. Tu es jeune, et je ne m’étonne pas que tu fasses des espiègleries, sans penser qu’en dormant nous marchons vers notre fosse. Moi qui ne suis qu’un monceau de terre, je puis te le dire. Que me raconte-t-on, à moi ? que tu as dissipé beaucoup d’argent, sans savoir comment, et qu’on t’a vu ici tantôt étudiant, tantôt fripon, tantôt chevalier d’industrie, le tout par les compagnies. Dis-moi qui tu hantes, mon fils, je dirai qui tu es. Chaque brebis avec sa pareille. Sais-tu, mon fils, que de la main à la bouche la soupe se perd ? Nigaud que tu es ! Si tu as un si grand besoin de femmes, tu n’ignores pas que je suis dans ce pays-ci l’appréciatrice perpétuelle de cette marchandise et que je vis des droits que j’en retire ; qu’ainsi je sers suivant que l’on me paye, et que tout le profit reste à la maison. Cela ne vaut-il pas mieux pour toi que d’aller avec quelque coquin à la poursuite d’une femme belle en apparence, ou d’une autre rusée qui use ses jupons avec qui lui fournit des manches. Je te jure que tu aurais épargné bien des ducats si tu t’étais adressé à moi,