Page:Quevedo - Don Pablo de Segovie.djvu/222

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

par nécessité et qu’enfin je me voyais avec de l’argent et bien vêtu, je ne pensai plus qu’à me réjouir. Ainsi je leur dis adieu à tous. Ils s’en allèrent, et je restai.

En quittant la mauvaise vie de comédien, j’embrassai celle d’amant de grille, si je puis m’exprimer ainsi, ou pour parler plus clairement je me rendis sectateur de l’antéchrist, car c’est la même chose que galant de norme. J’eus occasion de cela parce que je trouvai plus belle que Vénus une religieuse, à la demande de qui j’avais fait plusieurs cantiques et qui m’avait pris en amitié en me voyant représenter saint Jean-Baptiste, un jour de Fête-Dieu. Elle me faisait souvent des présents, et elle m’avait témoigné, parce que je m’étais donné pour le fils d’un grand seigneur, qu’elle était fâchée de me voir comédien, que je lui faisais compassion.

Enfin je me déterminai à lui écrire le billet suivant :


J’ai quitté, Madame, la compagnie où j’étais, plutôt pour vous complaire que pour faire ce que je devais, parce que toute compagnie, sans la vôtre, est pour moi une solitude. Je serai d’autant plus à vous, que je suis plus à moi. Informez votre dévoué serviteur quand il y aura parloir, et je saurai alors quand j’aurai de la satisfaction, etc.


La tourière porta le billet. Il n’est pas possible d’exprimer toute la joie qu’eut la bonne religieuse,