Page:Quevedo - Don Pablo de Segovie.djvu/34

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écuelles. À chaque gorgée, Cabra s’écriait : « Il n’y a certainement rien de comparable au pot-au-feu ; que l’on en dise ce que l’on voudra, tout le reste n’est que vice et gourmandise. » En achevant ces mots, il se mit son écuellée de bouillon sur l’estomac ; après quoi il ajouta : « Rien de meilleur pour la santé ! ces mets légers sont admirables pour donner de l’esprit. »

« Qu’un mauvais esprit t’assomme ! » disais-je en moi-même, quand je vis un jeune domestique, très sec et très hâve, portant à la main un plat dans lequel était de la chair qui paraissait avoir été enlevée de dessus ses os. Un seul navet accompagnait ce mets ; et le maître dit : « Quoi ! des navets ! il n’y a pas, selon moi, de perdrix qui leur soit comparable. Mangez, mes enfants, car rien ne me fait tant de plaisir, que de vous voir manger. » Il leur donna en même temps à chacun un si petit morceau de mouton, que ce qui leur en resta aux ongles et entre les dents, consomma, je crois, le tout, et que le ventre fut obligé de s’en passer. Cabra cependant ne cessait de dire en les regardant : « Mangez, mangez, vous êtes jeunes, et je suis charmé de vous voir bon appétit. » Qu’on juge si ce n’était pas là une excellente chère pour des jeunes gens dévorés par la faim !

Ils achevèrent de manger, et il resta sur la table quelques petits morceaux de pain, avec des peaux et des os dans le plat. Alors le maître dit : « Laissons cela pour les domestiques ; il faut aussi qu’ils vivent. D’ailleurs, nous avons tous bien mangé. » – « Que