Page:Quevedo - Don Pablo de Segovie.djvu/52

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

mais quand il voulut le mâcher, peu s’en fallut qu’il ne lui en coûtât une grosse dent et la moitié d’une autre, les seuls restes de la garniture de ses mâchoires. Il commença aussitôt à cracher et à donner des signes de douleur et de maux de cœur. Nous nous approchâmes de lui, et le curé le premier, qui lui demanda ce qu’il avait. Cet homme furieux se donnait au diable. Il laissa tomber ses besaces. L’étudiant, étant venu à lui, dit gravement : « Loin d’ici. Satan, respecte la croix ! » Un autre ouvrit un bréviaire, et on prétendit lui faire accroire qu’il était possédé, jusqu’à ce qu’ayant raconté lui-même ce que c’était, il pria de lui permettre de se rincer la bouche avec un peu de vin qu’il avait dans son outre. On le laissa faire, et pour lors il prit l’outre, la déboucha, et versa dans un vase un peu de vin qui, chargé de laine et d’étoupe, sortit si bourbeux et si velu qu’il n’était pas plus possible de le boire que de l’éclaircir. Le vieillard perdit alors patience, mais comme il vit les éclats de rire, il jugea à propos de se taire et de monter dans le chariot avec les ruffians et les femmes. Les étudiants et le curé se perchèrent chacun sur un âne, et nous autres nous montâmes dans notre carrosse.

Nous n’étions pas encore en route, lorsque les uns et les autres commencèrent à se moquer de nous et à se démasquer. L’hôtelier disait : « Jeune seigneur, avec de pareilles leçons, vous vous formerez et vous vieillirez. » Le curé : « Je suis prêtre, je dirai des messes pour vous. » Le maudit étudiant criait de