Page:Quevedo - Don Pablo de Segovie.djvu/70

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deux amis dévorés d’une égale cupidité ne manquent pas, s’ils demeurent ensemble, de chercher à se tromper l’un l’autre.

Il lui arriva d’avoir des poules dans la basse-cour, et à moi d’avoir envie d’en manger. Elle avait douze à treize poulets déjà un peu forts, et un jour qu’elle leur donnait à manger, elle se mit à dire, et répéta plusieurs fois : « Pio, pio ! » Quand, j’entendis cette manière de les appeler, je m’écriai : « Ventrebleu, gouvernante ! que n’avez-vous tué un homme ou fraudé les droits du roi ! Je pourrais en garder le secret ; mais sur ce que vous venez de faire, il ne m’est pas absolument permis de me taire. Que nous sommes malheureux, vous et moi ! » Lorsqu’elle me vit faire ces exclamations en affectant un air très sérieux, elle commença un peu à se troubler et elle me dit : « Qu’ai-je donc fait, Pablo ? Si tu plaisantes, ne m’afflige pas davantage. » – « Plaisanter ? Plût à Dieu ! mais je ne puis me dispenser d’en rendre compte à l’Inquisition ; autrement, je serais excommunié. » – « À l’Inquisition ? s’écria-t-elle toute tremblante. Ai-je donc fait quelque chose contre la foi ? » – « C’est là précisément ce qu’il y a de pire, lui répondis-je. N’allez pas badiner avec les inspecteurs, avouez-leur que vous avez tort, protestez que vous vous dédites, et ne niez pas le blasphème et le manque de respect. » – « Et si je me dédis, reprit-elle avec crainte, me châtieront-ils ? » – « Non, lui répondis-je, ils se contenteront de vous absoudre. » – « Eh bien ! Pablo, je me dédis. Mais apprends-moi