Page:Quevedo - Don Pablo de Segovie.djvu/96

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huitains, je le suppliai de ne me rien dire qui eût rapport au divin, et en conséquence il commença à me réciter une comédie qui avait plus de journées que n’en exige le chemin de Jérusalem. Il me disait : « Je l’ai faite en deux jours ; c’est là le brouillon. » Il y avait jusqu’à cinq mains de papier et son titre était l’Arche de Noé. Semblable aux fables d’Ésope, elle n’avait pour acteurs que des coqs, des rats, des ânes, des renards et des sangliers. J’en louai la marche et l’invention, à quoi il me répondit : « C’est une pièce que j’ai imaginée ; on n’en a jamais faite de pareille dans le monde. La nouveauté l’emporte sur tout, et si je parviens à la faire jouer, ce sera une chose qui fera du bruit. » — « Mais comment pourrait-elle être représentée, lui dis-je, si les personnages ne sont que des animaux, puisque ceux-ci ne parlent pas ? » — « C’est là, me répondit-il, la difficulté la plus forte ; sans cela rien ne pourrait lui être comparé. Mais j’ai pensé à la faire toute de perroquets, de sansonnets et de pies, qui parlent, et de mettre des guenons aux intermèdes ; on ne peut rien de mieux. J’ai fait, continua-t-il, des choses bien supérieures pour une femme que j’aime. Voici neuf cent et un sonnets et douze rondeaux que j’ai composés à ses pieds. » Je lui demandai s’il les avait vus, ses pieds, et il me répondit qu’il n’avait pas fait pareille chose, en considération de ce qu’il était dans les ordres, mais que ses idées sur toutes les beautés de sa dame étaient prophétiques.

Quoique je prisse plaisir à l’entendre, j’avoue de