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CONFESSIONS

fois combien Il est négligent dans l’ordonnance d’un sujet discutable, et quel démon le possède pour l’empêcher de constater exactement les faits. Je n’en ai que mieux ressenti l’étourderie injuste que Coleridge témoigne en ce qui me concerne personnellement. Si Coleridge commet une aussi grosse erreur dans l’énonciation des faits, à propos de nos fréquentes expériences sur l’opium, cela vient en partie de ce qu’il lit à la volée, en partie de ce qu’il lit avec partialité, et sans suite, et oublie naturellement ce qu’il a lu. Chacune de ces négligences habituelles, comme le lecteur se le dira de lui-même, est une faiblesse vénielle, cela est certain. Mais ce qui n’est pas véniel, c’est de se permettre ces négligences au point de nuire gravement à la réputation qu’un ami fraternel possède de se gouverner lui-même, et c’est un frère qui n’a jamais parlé de lui sans exprimer une admiration enthousiaste, admiration que les ouvrages exquis justifient si amplement. Supposez qu’en réalité j’aie mal agi ; il aurait alors même été peu généreux, et j’aurais été attristé que Coleridge se fût précipité vers le public pour lui dénoncer ma faute : « Par les présentes, on fait savoir à tous que moi, S. T. C., homme d’aspect agréable, avec des grands yeux gris[1], je suis un mangeur d’opium patenté, tandis que cet autre est un boucanier, un pirate, un flibustier[2] et il ne peut avoir qu’un faux permis dans sa poche suspecte. Au nom de la vertu, arrêtez-le » Mais la vérité est que la négligence dans les faits et les citations tirées des livres, était, chez

  1. Voir le charmant portrait que fait Wordsworth de S. T. C. et de lui-même, sous le costume d’affranchis, dans le Château de l’Indolence.
  2. Ce mot était employé dans le sens que je lui donne et avec l’orthographe que j’emploie, parmi les grands boucaniers d’autrefois, les Anglais et Français contemporains de notre grand Dampier, vers la fin du XVIIe siècle — Il a reparu dans les journaux des États-Unis, à propos des affaires de Cuba, mais avec une orthographe différente, et on écrit toujours, je ne sais pourquoi flibustiers. Quoi qu’il en soit, et sous ces deux formes, il reste un dérivé par corruption dans la bouche des Franco-Espagnols, du mot anglais Feebooter (franc-pillard).