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D’UN MANGEUR D’OPIUM

actif de civilisation qui devait aider les livres. Mais quand on prend des sujets aussi terre à terre, aussi ternes, aussi décousus que ceux-ci : les bienfaits de l’activité, le danger des mauvaises compagnies, la nécessité des bons exemples, les effets de la persévérance, il est difficile de produire en soi-même et chez ses auditeurs un courant énergique de passion. Il est vrai que ses auditeurs ne formaient pas une classe qui eût grand besoin d’émotions vives. Elle n’était pas composée de gens de rien ; beaucoup d’entre eux étaient riches et venaient à l’église en voiture. Le résultat naturel de l’estime qu’ils avaient pour mon tuteur fut qu’un certain nombre d’entre eux s’associèrent pour lui bâtir une église, celle de Saint-Pierre, à la rencontre de la rue Morely et de la future rue d’Oxford, qui venait d’être décidée et qui alors n’existait que sur le plan d’un ingénieur. La circonstance qui me mit en rapports individuels avec M. H… fut celle-ci : deux ou trois ans auparavant, un de mes frères qui était mon aîné de cinq ans, et moi, nous fûmes confiés à ses soins pour recevoir l’instruction classique. Cela fut fait, je crois, pour obéir à une volonté suprème de mon père, qui avait une estime bien fondée pour le caractère de M. H…, mais qui se faisait une idée trop haute de sa valeur comme lettré, car il n’entendait rien au grec. Quoi qu’il en soit, il en résulta que ce gentleman, qui auparavant était notre tuteur à tous dans le sens que les Romains donnaient à ce mot, devint un tutor pour mon frère et moi, dans le sens anglais de ce mot. Depuis l’âge de huit ans jusqu’à celui de onze et demi, le caractère et le fonds intellectuel de M. H… eurent donc une grande importance pour le développement de mes facultés, telles qu’elles. Même les trois cent trente sermons qui se déroulaient sans faire grand effet sur l’ensemble de sa congrégation, contribuèrent en réalité à mon instruction. En fait, je n’entendis que la moitie des sermons ; la maison paternelle de Greenbay se trouvait alors en pleine campagne, Manchester ne s’étant pas encore agrandi jusque-là ; l’éloignement