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D’UN MANGEUR D’OPIUM

exercice de gymnastique intellectuelle, bien plus en rapport avec ma faiblesse enfantine que ne l’eussent été les sermons d’Isaac Barrow ou de Jérémie Taylor. Ceux-ci, avec leur luxe d’images, auraient ébloui ma pauvre vue, la grandeur gigantesque de leurs idées aurait accablé les efforts de mon intelligence. En fait je tirais donc de cet exercice hebdomadaire le plus grand profit. Peut-être aussi se forma des lors une faculté qui ne devait mûrir que plus tard ; je me plaignis longtemps, avec amertume, de ce que l’emploi du crayon pour prendre des notes m’était interdit, et ma mémoire avait à supporter tout le fardeau. Mais on sait que plus l’on charge la mémoire, plus elle se fortifie, que plus on a de confiance en elle, plus elle mérite cette confiance. Aussi, après trois ans de cet exercice, je trouvai que ma faculté d’abstraire et de condenser avait pris un développement sensible. Mon tuteur etait de plus en plus satisfait, mais par malheur (dans les premiers temps c’était par malheur) il n’y avait d’autre moyen de vérifier mon exactitude que de recourir au sermon même ; bien qu’il fût sûrement caché parmi les 330. le mauvais échappait aisément au coup de harpon. Mais ces recours devinrent de plus en plus rares, et comme je l’ai dit, mon tuteur était chaque fois plus content. D’autre part, on se demandera si j’étais toujours contant de lui et de ses trois cent trente sermons ? Oui, je l’étais, j’avais affection et confiance, sans arrière-pensée, sans réserve, grâce aux principes de vénération profondément enracinés dans mon caractère, lorsque je rencontrais une expression de force supérieure à la moyenne ordinaire de mon tuteur, jamais il ne me vint à l’esprit qu’il fût moins bon, moins intelligent que les autres ; je le trouvais simplement différent. Je ne lui cherchais pas querelle pour son engourdissement caractéristique, pas plus que je n’en aurais voulu à un ruban vert de n’être pas bleu. Un simple hasard fit qu’un jour je citai un distique qui me parut sublime. Il était question d’un prédicateur comme il m’apparaît parfois dans les