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SOUVENIRS AUTOBIOGRAPHIQUES

voiture de voyage avait été, comme c’est l’usage, détaché du train (c’est le terme technique qu’on applique aux roues et au timon), et on l’avait hissé sur le pont. Elle s’en servait pour se mettre à l’abri du soleil pendant le jour, et comme de chambre à coucher la nuit. Faute de société plus intéressante, elle nous invitait pendant le jour dans sa voiture. Nous nous évertuâmes à lui être agréables, nous fîmes de notre mieux pour la divertir ; de notre côté nous étions très fascinés par la beauté de la dame. La seconde nuit fut d’une chaleur accablante. Lord W— et moi, pour ne pas étouffer dans nos cabines, nous les quittâmes, pour coucher sur le pont, enveloppés dans des manteaux. Après avoir passé quelques heures à causer, nous étions sur le point de nous endormir quand nous fûmes réveillés par un pas furtif tout près de nous. À la lueur des étoiles nous pûmes apercevoir entre le ciel et nous la silhouette d’un homme. Comme nous étions ensevelis sous un tas de toile goudronnée, il était impossible de nous voir distinctement ; la silhouette se mouvait dans la direction de la voiture. Notre première pensée fut de donner l’alarme, car nous ne doutions aucunement que l’intention de l’homme ne fût de voler à la dame sans défense sa montre ou sa bourse. Mais quel ne fut pas notre étonnement, et je puis dire aussi notre vraie douleur, quand nous vîmes la portière de la voiture tourner sous une légère poussée du dedans. Tout était silencieux comme en un rêve ; la silhouette entra, la portière se referma ; et il ne nous resta plus qu’à nous expliquer l’affaire comme nous l’entendions. Nous nous rappelâmes plus tard avoir entendu vaguement courir sur le bateau, le jour précédent, le