Page:Quincey - Souvenirs autobiographiques du mangeur d’opium, trad. Savine, 1903.djvu/232

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se résoudre en abstractions intellectuelles, on ces réflexions profondes sur les agitations tourbillonnantes de l’existence, qui se dégagent au-dessus d’elles comme une perpétuelle vapeur de brouillard, comme une sorte d’atmosphère semblable à celle que projette une cascade, et qui enveloppe tous les objets environnants. C’est ainsi, comme on peut le remarquer, que se produisent les réflexions naturelles, et celles qui, sous la plume d’un grand poète, comme Shakespeare, surgissent pour aller au devant de ce qui suit et pour lui donner une forme. Les réflexions, ou pensées réflexes, en quelque sorte, purs reflets de ce qui a passé, sont aussi traitées de manière à devenir l’annonce, la source féconde de ce qui va arriver. Elles semblent être simplement les résultats passifs, ou les produits de la narration, mais par un traitement convenable, elles prennent un rôle diamétralement opposé, et déterminent à l’avance la suite de cette narration. Or, si la chronologie est par suite hors d’état de nous fournir ce principe d’enchaînement entre les faits de la vie, principe qui doit exister sous une forme ou sous une autre, afin de donner quelque unité à ses parties, afin d’en ôter tout le désordre, l’incohérence propre à un catalogue, si, après tout, il faut recourir à une autre ressource que la chronologie, il en résulte qu’en général on peut négliger la chronologie en ce qui regarde les incidents qui peuvent être également bien placés partout, qui dès lors, selon le proverbe, ne sont nulle part à leur place, à moins que nous ne retournions le proverbe et que nous ne disions que ces incidents, n’étant nulle part à une place à laquelle ils ont droit, peuvent occuper à bon droit une place quelconque.