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DU MANGEUR D’OPIUM

publique de Bath, se rappellent encore les plaisantes obsessions, — car pour lui c’étaient des obsessions, — qu’elle lui valait de la part de dames qui l’arrêtaient à chaque instant dans les rues pour l’embrasser. La personne de notre famille, avec laquelle nous étions arrivés à Bath, venait d’une contrée lointaine du royaume. Elle occupa d’abord sur la place d’armes du Nord les appartements mêmes où avait logé Edmond Burke mourant. Cette circonstance, ou le désir d’y voir encore Burke, attira pendant plusieurs semaines une foule de visiteurs ; la plupart aperçurent l’Adonis enfant, alors à peine âgé de sept ans, et lui infligèrent leurs caresses qu’il considérait comme un véritable martyre. Ainsi commença une persécution qui dura aussi longtemps que son âge s’y prêtait. Le teint le plus brillant qu’on put imaginer, les traits d’un Antinoüs, la parfaite symétrie de structure, qu’il possédait à cette époque de sa vie (et qu’il perdit dans la suite) faisaient de lui un objet d’extase sans fin pour toute la population féminine, tendre et simple, qui passait dans les rues. Par la suite, il eut la bonté de regretter sa coquetterie perverse et dédaigneuse — ce que les poètes romains auraient appelé protervitas. Mais en ce temps là, il était si fortement insensible à cet honneur, qu’il s’évertuait à se défendre par des coups de pied et une lutte énergique, contre la douce violence qu’on lui faisait sans cesse, et il renouvelait la scène où Shakespeare a décrit avec tant de soin les batailles entre Vénus et Adonis.

Pendant deux ans, cette situation fut la cause de l’irritation la plus vive pour lui et de l’hilarité la plus bruyante pour d’autres, entre mon frère et ses camarades d’école plus mal traites par la na-