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Page:Quincey - Souvenirs autobiographiques du mangeur d’opium, trad. Savine, 1903.djvu/247

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SOUVENIRS AUTOBIOGRAPHIQUES

l’Évangile de saint Jean et présenté à mon frère. On lui demanda de dire s’il savait en quelle langue le livre était écrit, et s’il pouvait traduire la page qu’il avait sous les yeux. En cette occasion la vanité humaine n’était guère en état de tenir bon contre un tel appel. Le pauvre enfant tomba dans le piège ; il expliqua quelques versets, et immédiatement il fut confié aux soins d’un gentleman qui obtint de lui par la douceur les indications qu’il avait refusées devant les importunités et les menaces. Il fit connaître aussitôt sa famille, mais non son école. Un messager fut sur l’heure expédié de Liverpool, à notre parent le plus proche, un militaire que le hasard ou un congé avait amené d’une lointaine colonie. Il arriva, ramena mon frère, et considéra toute l’affaire comme un escapade enfantine qui ne pouvait avoir de suites durables, demanda qu’on prît l’engagement de ne pas l’en punir, et retourna aussitôt chez lui.

Redevenu le maître, cet affreux tyran de l’école s’empressa de violer l’engagement, et réitéra ses brutalités avec un redoublement de violence, stimulé qu’il était alors par son caractère tyrannique et par son désir de vengeance.

Quelques heures plus tard, mon frère était de nouveau en route pour Liverpool. Mais cette fois il évita avec soin les hôtelleries, et se garda bien de rendre visite à aucun perfide chasseur de pittoresque. Alors il ne s’exposa plus à nulles tentations ni à aucun risque. Il se dirigea tout droit vers les docks, et s’adressa à un grave et vieux patron d’un navire de commerce, qui devait partir pour une campagne d’outre-mer, et qui lui procura séance tenante un engagement. Le capi-