Page:Quincey - Souvenirs autobiographiques du mangeur d’opium, trad. Savine, 1903.djvu/43

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
20
SOUVENIRS AUTOBIOGRAPHIQUES

pu dire qu’elle était forcée, car je n’avais aucun camarade de mon âge, et on ne me permettais pas de fréquenter les domestiques. Puis les livres que j’aimais passionnément de bonne heure, favorisaient toutes ces tendances. Elles furent renforcées par ce qui arriva bientôt par suite de la dernière maladie et la mort de mon père.

J’étais encore enfant. Mon père avait commencé à se bâtir une demeure, avec le terrain qui convenait, sur une échelle proportionnée plutôt à la fortune qu’il ne pouvait tarder à réaliser, qu’à celle qu’il possédait réellement. Cette maison, élégante mais simple, n’avait rien de remarquable en elle-même, si ce n’est les portes et les fenêtres des chambres supérieures, d’un acajou dont lui avait fait présent un de ses correspondants de l’étranger, et elle fut prête à être habitée quand j’eus environ cinq ans. Nous nous y installâmes, et le premier souvenir que j’y rattache est que je me tenais debout en compagnie d’autres personnes, par un soir d’été, prêtant l’oreille à un bruit de roues.

Ma mère avait été mandée par un exprès pour aller trouver mon père, qui s’était rompu un vaisseau sanguin.

— Qu’est-ce que cela voulait dire ?

Cela signifiait que l’on était très malade et très faible.

— Et mourrait-il ?

— Peut-être il mourrait, cela arrivait fréquemment aux gens qui habitent les climats froids…

L’incident que je me rappelle après celui-là eut lieu bien des mois après. Dans l’intervalle, mon père avait fait de grands voyages dans les climats plus chauds, il avait visité Lisbonne, ensuite les