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SOUVENIRS AUTOBIOGRAPHIQUES

drait l’espérer, par les luttes de sa conscience. Néanmoins elle ne resta pas longtemps exposée aux regards scrutateurs des juges et dans la situation pénible et embarrassante où elle était. Elle fut invitée à prêter serment. Après quelques questions, on lui demanda brusquement si elle croyait à la religion chrétienne. La réponse fut courte et péremptoire, sans réserves, ni circonlocutions. — Non. — Peut-être ne croyait-elle pas à Dieu ? Elle répondit encore sans phrase. — Non. Alors le juge intervint et déclara qu’il ne permettrait pas la continuation des débats. Le jury avait entendu ce qu’avait dit le témoin ; elle ne pouvait déposer que sur le point capitale de l’accusation, et elle s’était formellement mise hors d’état d’être écoutée par la Cour. Immédiatement le jury acquitta les prisonniers.

Je portai ma carte au domicile de Mrs L. — dans la journée, mais son domestique me répondit qu’elle était trop agitée pour voir qui que ce fût avant le soir. À l’heure dite, je me présentai de nouveau. Il faisait sombre, et un rassemblement s’était formé. Au moment où j’approchais de la porte, il en sortit une dame très emmitoufflée, et en quelque sorte déguisée. C’était Mrs L. — À l’angle de la rue voisine stationnait une chaise de poste. Elle se dirigea de ce côté le plus vite qu’elle put, sous la protection du sollicitor qui avait pris en main sa cause. Mais elle fut reconnue avant qu’elle eût pu y arriver ; la foule poussa un hurlement sauvage et se bouscula pour s’emparer d’elle. Heureusement une troupe de robins la délivra, la fit monter promptement en voiture, et alors joignit ses hou ! hou ! à ceux de la foule, ce qui fit partir les chevaux au grand galop ; c’est de cette manière