Page:Quinet - Œuvres complètes, Tome VII, 1857.djvu/267

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Hourrah ! Ils ont passé Kief aux tours mogoles,
Moscou, Borodino, Smolensk aux cent coupoles.
Là-bas, sur le chemin, où l’ouragan les suit,
Qui sont ces voyageurs attardés dans la nuit ?
Que leur sommeil est long ! Et que leur couche est dure !
Ils portent tous au cœur une large blessure.
Est-ce un peuple égaré depuis l’éternité
Qui cherche après mille ans sa sauvage cité ?
Est-ce un reste d’empire assis sur la bruyère ?
Leurs chars sont pleins de morts, qui, penchés sur l’ornière,
S’entre-choquent dans l’ombre et font claquer leurs os ;
Et la Bérésina frissonne dans ses flots.

" Voyageurs, levez-vous ! Comme des sauterelles,
Voici des cavaliers, tous penchés sur leurs selles,
Tous avec un caftan, tous avec un poignard.
La route est longue encor, ne dormez pas si tard !
Comme un torrent glacé qui, dans son lit s’arrête ;
Que faites-vous ici, couchés dans la tempête ? "
Mais tout resta muet. Les canons sans hurler
Tout gorgés de frimas se mirent à trembler.
L’épée en son fourreau resta pâle et livide ;
Le sabre se fendit comme une argile aride ;
Et les vieux grenadiers, penchés sur leurs foyers,
Branlaient leur tête grise, au bord de leurs sentiers.
Et les pins blanchissants sous la neige durcie
Rêvaient du grand soleil des palmiers d’Arabie.
Mais tout resta muet. Avant qu’elle ait parlé
La langue s’est glacée. Avant qu’ils aient coulé