Debout ! Il faut partir.
Le Cheval d’Ahasvérus.
Je suis trop las.
Ahasvérus.
Plus qu’une journée.
Le Cheval d’Ahasvérus.
Si mes pieds le voulaient, j’aurais du cœur pour
mille.
Ahasvérus.
Jusqu’à la ville ; encore un pas.
Le Cheval D’Ahasvérus. agonisant.
maître, mon ongle est tout usé, mon haleine aussi.
Ahasvérus, après une pause.
et moi aussi, comme toi, je vais mourir. Au moins
emporte-moi, sans que ta corne retentisse,
jusqu’à l’endroit où tu vas vers ta pâle cavale.
Sans hennir, emporte-moi là où la source sans
fond est creusée pour ta soif ; là où l’auge
sans bords est remplie, pour ta faim, d’avoine
dorée ; là où l’hôtelier et son écuyer essuieront
pour toujours ta sueur. De ta litière noire,
donne-moi seulement la moitié, pour m’endormir,
sous tes pieds, dans ton étable, tout habillé
de songes.
Le Cheval d’Ahasvérus.
Maître, tenez : voici mon dernier souffle.
(il meurt.)
Ahasvérus.
Et moi, voici mon agonie. Non, je ne suis pas le
tronc d’un chêne de cent ans que le bûcheron a
oublié dans la forêt. Cette fois ma coupe noire
est remplie ; mes yeux vacillent ; mon cœur
tremble de la fièvre des mourants. Pour moi
aussi les cloches vont sonner : leur belle
voix de bronze et d’argent luisant fera
tressaillir l’eau dans les sources ; et
l’aubépine secouera sa rosée dans