Mob.
Grâce à Dieu, cette fois, votre mérite est donc
récompensé.
Ahasvérus.
Jusqu’au milieu de la mêlée, un souvenir, un
jour, ah ! Une heure rapide, passée dans un
autre climat, couvrait pour moi le fracas de
deux armées ; les chariots de guerre passaient
furieux, et je n’entendais gronder que ma voix
dans mon sein. La lance retentissait sur la
lance, et mes yeux, sous ma visière, ne voyaient
rien que moi, rien qu’une image, je vous dis,
une ombre de moi-même, rien de plus, qui a été,
qui n’est plus, qui ne peut plus être, et qui
luttait une lutte géante dans mon âme ; oui,
une bataille dans une bataille ! Quels soupirs
qu’on n’entend pas ! Quelles blessures qu’on ne
voit pas ! Souvenirs plus tranchants que les
espadons à deux mains ; rêves plus échevelés
que la flèche emplumée de l’arbalète : vie,
mort, néant, regrets, doutes plus déchaînés,
plus pesants, plus rapides, plus flamboyants
que des cavaliers penchés, hors d’haleine, sur
leurs brides !
Mob.
Sur ma parole, cette seconde guerre est plus
cruelle que la première. Je n’en avais aucune
idée. Si, décidément, la guerre ne vous convient
plus, vous pouvez vous lancer dans la politique
d’état. L’intérêt, bien entendu, sera votre
guide infaillible. L’équilibre des pouvoirs est
d’abord la doctrine que je vous conseille. La
monarchie a du bon. L’aristocrate sent son aïeul.
Le démocrate est tout nerf et tout os. Le
mélange est mon fait. Du positif, point de
pathos. Le chiffre seul, nu, décharné, déchaussé,
désossé, déhanché, entendez-vous ? Tous les
droits sont reconnus. D’un trait de plume, vous
enterrez deux ou trois peuples, et cela fait
toujours honneur.
Ahasvérus.