Mob.
à cette heure, j’étais dans le monde. C’est là
que je me trouve à mon aise, et que je m’entends
le mieux avec tout ce qui m’entoure. Non, il y
a là un instant, à la lueur des lampes, que
rien ne peut remplacer, après dîner, dans un
cercle, chacun sur son siège, quand l’horloge
sonne mon heure ; quand les mains, en se
serrant, se glacent, quand les cœurs, en se
touchant, se brisent ; quand chaque femme,
sur sa chaise, tisse autour d’elle, de sa
navette d’ivoire, le désespoir en fil de soie ;
et quand le néant, qui me fait vivre, circule
emmiellé dans un verre de cristal, que porte
mon page galonné ; d’ailleurs, en cet endroit,
un seul air, de tête, un mot appris par cœur,
et un manteau fourré de martre zibeline me
déguisent à merveille.
Ahasvérus.
Une autre fois, il m’a semblé te rencontrer dans
la brume du matin, sur une cime chauve ; tu
luttais corps à corps avec le porte-croix de
Nazareth. Son épée brandie d’acier flamboyait
sur ton écu ; et toi, ta masse d’armes tombait
sans retentir sur son auréole. Quand j’approchai,
je ne vis que la rosée foulée par les pieds de
deux jouteurs.
Mob.
Vos sens vous ont encore trompé. Jamais je ne
frappe plus d’un coup ; puis, s’il m’en
souvient, ce jour-là je m’amusais à attacher
une couronne sur la tête d’un roi, en murmurant
à son oreille la liturgie du sacre : rex in
aeternum.
Ahasvérus.
Ce qui a été a été. à présent emporte-nous où tu
voudras. Cache-nous, traîne-nous, enfouis-no