Page:Quinet - Œuvres complètes, Tome VIII, 1858.djvu/275

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compagnie est brillante et nombreuse. Mon beau seigneur, mêlons-nous à la foule, et allons rendre le salut des mains à ceux qui nous le donnent. Allons, Rachel, mon bras se lasse à te traîner. (elle s’avance vers un cercle des morts.) eh ! Bonjour, reine Berthe ! Bonjour, Yseult la blonde, ma belle reine d’amour ! Mon dieu ! Comme vous voilà faite, depuis le jour où j’ai agrafé votre couronne sur votre tête ! Enveloppez-vous mieux de votre mantelet incarnadin d’Espagne, ma chérie ! Si votre amant de Cornouailles vous voyait ! Qu’avez-vous fait de vos tresses d’or aplaties sur les tempes, qui vous allaient si bien, de votre long regard, de votre teint vermeil, de vos bracelets et de vos gantelets ? Allez voir si vous ne les avez point oubliés à la vesprée dans le fond de votre cassolette... votre servante, mon saint père le pape. Votre sainteté me reconnaît, j’espère. C’est moi qui lui ai porté, avec mon baudrier de héraut, en boitant, sa mitre d’or, sur l’escalier du conclave. Si votre tête papale ne branle pas trop, allons, ouvrez avec moi la danse ; vos indulgences ne vous en dispensent pas. Entre mes dents, je sifflerai mon vieil air, que j’apprends, par la bise, aux crevasses de vos tours d’Italie...

Vous aussi, mon noble roi Robert ! Si nu, si chenu, si barbu ! Qui a coupé, dans la forêt Noire, votre sceptre de bois de noisetier, si ce n’est moi ? Qui a taillé dans votre cour, avec le tranchant de sa hache, votre trône de bois de cognassier, si ce n’est moi ? à présent le noisetier est émondé, le cognassier a secoué ses nids de rossignols. Régnez, mon noble vassal, les yeux creux, la tête vide, dans mon comté sans nom, sans bannière, sans pont-levis, que je vous ai éternellement inféodé. Mais, si vous m’aimez, messeigneurs, ne vous heurtez pas, je vous prie, au pommeau de l’épée de mon cavalier. Si vous tombiez en poussière, songez-y !